CHAPITRE IV

Dans la salle de briefing, Leia Organa Solo se leva lentement. S’appuyant sur la table, elle baissa la tête pour soulager la tension de ses épaules.

Tout le monde était aussi fatigué qu’elle. Mais face aux derniers événements, personne ne pouvait se détendre.

Au-dessus de la table flottait l’holoprojection dorée d’une zone frontalière de la Nouvelle République.

A gauche, les Vestiges de l’Empire étaient représentés en gris, et leurs planètes en noir.

Des mondes et un quadrant colorés en marron s’enfonçaient comme une vibrolame dans l’espace de la Nouvelle République, effleurant la frontière des Vestiges.

— Les informations continuent d’arriver, dit Leia. Le silence de Belkadan, de Bimmiel, de Dantooine et de Sernpidal ne surprendra personne, puisque les Yuuzhan Vong les ont envahis. Ces mondes ne comptaient pas une population importante. Nous recevons encore des rapports de Dubrillion, mais ils se font de plus en plus rares. A court terme, Dubrillion servira de quartier général aux Yuuzhan Vong. Nous ne captons pas grand-chose de Garqi, mais il semble que les Yuuzhan Vong y aient débarqué.

— Les réfugiés qui transitaient par Agamar sont dirigés vers les mondes d’accueil. Parmi eux, nous interrogeons des témoins fiables. Ce qu’ils nous apprennent corrobore votre rapport concernant Dantooine. Les Yuuzhan Vong utilisent des cohortes d’esclaves pour les opérations d’assaut et de nettoyage. Selon ces rapports, ils ont fait des prisonniers dans ce but. Il y aurait aussi des collaborateurs. Mais pour le moment, rien n’est prouvé.

Borsk Fey’lya, le président de la Nouvelle République, fit une grimace.

— Il arrive toujours que certains prennent peur et se rallient aux puissants. Une chanson connue, sous l’Empire.

— Mais les Yuuzhan Vong sont plus néfastes que l’Empire.

— De votre point de vue, Leia. L’Empire traitait les non-humains avec autant de désinvolture que les Yuuzhan Vong traitent les humains. Maintenant, vous savez ce que nous avons affronté !

Leia fit un sourire de carnassier au Bothan.

— Ils ont détruit ma planète natale, Borsk.

— C’est vrai. Vous ne manquez jamais de nous le rappeler...

Elegos A’Kla, un Caamasi, posa une main sur l’avant-bras du chef d’Etat. Leia vit les muscles d’Elegos se contracter, et Fey’lya sursauter.

— Que la fatigue nous rende irritables est compréhensible, ajouta-t-il d’une voix posée. Mais n’oublions pas pour autant nos devoirs. (D’un signe de tête, il désigna l’autre humain présent.) Je vois que le général Antilles a un databloc plein de notes…

Wedge leva la tête et sourit.

Borsk Fey’lya massa le bras que le Caamasi avait lâché.

— Lesquelles ?

— D’abord, Sernpidal. Nos ennemis ont fait tomber une lune sur la planète, entraînant un cataclysme épouvantable. Nous n’avons pas pu faire évacuer la planète à temps. Si vous demandez l’avis de spécialistes, ils vous diront que cette civilisation s’est certainement écroulée et que les rares survivants auront du mal à assurer leur subsistance.

Fey’lya soupira, l’air hautain.

— L’Empire a détruit Alderaan, comme Leia nous l’a fait remarquer. L’élimination de Sernpidal était un message à notre intention, voilà tout.

Wedge secoua la tête.

— Ça n’a pas de sens. Souvenez-vous que nos ennemis ont utilisé une créature organique pour attirer la lune hors de son orbite. Les investissements nécessaires à l’élevage d’une bête de cette taille et de cette puissance doivent être astronomiques !

Elegos leva un index.

— Comment pouvez-vous en être sûr, général ?

— Nous avons des rapports sur le type d’armes qu’ils utilisent pour leurs vaisseaux. Ces créatures biologiques sont capables de manipuler la gravité, mais elles sont loin d’avoir la puissance de celle de Sernpidal. S’il était facile d’en créer de plus redoutables, j’imagine qu’ils en auraient doté leurs navires.

« La créature de Sernpidal a été tuée avant l’impact, mais rien n’indique qu’elle aurait essayé de s’échapper. Il est probable que les Yuuzhan Vong n’ont jamais eu l’intention de la récupérer. Ils considéraient sans doute que le jeu en valait la chandelle. Ils trament sûrement autre chose sur Sernpidal.

Traest fronça les sourcils.

— Je comprends votre raisonnement, Wedge, mais vous le fondez sur la notion de profit par rapport à un investissement. Et s’ils ne pensent pas de cette façon ? Si une telle créature était considérée comme souillée par ses actes ? Peut-être ne l’ont-ils pas récupérée parce qu’elle les aurait « contaminés » ?

— C’est possible. Mais dans ce cas, leurs schémas de pensée sont si étrangers aux nôtres que nous n’avons aucune chance de prévoir et de parer leurs mouvements.

— D’après ce que mon frère a trouvé sur Belkadan, il semble que les Yuuzhan Vong aient besoin des ressources des mondes conquis. Tout comme vous, je me demande à quoi leur sert ce qui reste de Sernpidal. D’après les rapports dont parlait Wedge, la plupart des espèces estimeraient ce monde inhabitable. Si les Yuuzhan Vong peuvent y survivre, cela nous en apprend plus sur eux.

Borsk Fey’lya se radossa à son siège.

— Connaître notre ennemi est vital, je suis d’accord. Mais mon souci principal est d’écarter la menace. Je suppose, amiral, que vous avez déployé vos forces afin de contenir les Yuuzhan Vong ?

Traest et Wedge échangèrent un regard sidéré.

— Dans la mesure du possible, c’est ce que j’ai fait, confirma le jeune Bothan. Notre base est Agamar. J’envoie des patrouilles sur les trajets connus pour récupérer les réfugiés. Nous les organisons en convois qui transitent par Agamar avant de gagner le Noyau. Jusque-là, nous n’avons pas rencontré de nouveaux agresseurs yuuzhan vong, et nos patrouilles sont bien armées. Elles devraient s’en sortir. Histoire de rendre les embuscades difficiles, nous modifions la nature des patrouilles, leur espacement, leur composition…

— Vous avez dit « dans la mesure du possible », souligna Fey’lya.

— Oui. Nous parlons d’un quadrant d’une taille considérable. Cette carte, si agréable à l’œil qu’elle soit, n’est pas une représentation réaliste…

Traest enfonça quelques touches sur son databloc.

La carte se modifia.

Les planètes restèrent à leur place, conservant leur couleur, mais des filaments se tendirent entre les mondes, les reliant les uns aux autres. Ils bougeaient sans cesse.

Leia fut étonnée que les mondes soient interconnectés à ce point. Les frontières de la représentation précédente n’avaient plus de sens.

Traest montra la nouvelle carte.

— Voici les voies spatiales qui relient ces mondes. Elles fluctuent parce que les routes de transit interplanétaires changent à mesure que les corps célestes parcourent leur orbite. Il y a parfois des ruptures dans les voies de communication, et on doit s’en arranger en passant par l’espace réel. De plus, ces lignes représentent seulement les caps inter-étoiles. Aller d’un monde à l’autre par l’hyperespace resterait envisageable, mais prendrait très longtemps. D’un point de vue militaire, c’est exclu. Conclusion, poster nos effectifs dans ce secteur pour intercepter les Yuuzhan Vong est impossible.

Borsk fronça les sourcils.

— Vous suggérez que les arrêter est au-dessus de nos forces ?

— Pas du tout, président Fey’lya. Nous organisons la défense des mondes que nous estimons être des cibles possibles. Notre but est de ralentir assez les attaques pour mettre sur pied une riposte et faire venir des renforts assez importants. Nous savons tous que des forces d’invasion sont vulnérables quand elles transitent en orbite. Si nous les retardons pendant cette opération, nous aurons le temps d’amener nos troupes sur place. Voilà comment nous les battrons.

— Ignorant ce qu’ils veulent, nous ne pouvons pas les appâter, soupira Wedge. Ça nous ramène à ce que nous disions tout à l’heure : nous n’en savons pas assez sur eux. Certes, nous avons appris qu’ils ont des esclaves, qu’ils détestent les machines, que leurs armes sont organiques et qu’ils ont un rapport particulier à la douleur… Mais la signification de tout ça est loin d’être claire !

— Doucement, Wedge ! dit Leia. Je comprends votre frustration. Nous enverrons des missions pour tenter d’en apprendre plus. Luke nous prêtera des Jedi pour des reconnaissances, comme il a fait sur Belkadan et Bimmiel.

— Non, pas de Jedi ! lança Borsk Fey’lya. Je ne veux pas qu’ils soient impliqués.

— Comment ? cria Leia.

— Ne croyez pas que j’ignore la valeur des Jedi… Je me rappelle comment votre frère et vous avez résolu la crise qui menaçait de détruire Bothawui. Mais les gens ne les respectent plus. D’après le rapport sur la bataille de Dantooine, sans les Jedi, tous les réfugiés auraient péri. Mais vu sous un autre angle, on pourrait aussi dire que les Jedi ont laissé mourir des centaines d’innocents.

« De plus, les Yuuzhan Vong ont tué des Jedi. Le plus puissant d’entre eux, votre frère, a dû fuir Belkadan en abandonnant les esclaves à leur sort. Selon un des étudiants rescapés de Bimmiel, les Jedi ont introduit sur ce monde des créatures génétiquement modifiées, qui risquent de le stériliser à tout jamais. Si on considère que les pouvoirs des Jedi sont sans effets contre les Yuuzhan Vong, vous verrez pourquoi les gens ne se fient plus à eux. Si nous passons outre, le peuple perdra confiance en nous. Ce sera la panique !

Leia avait entendu les rapports des étudiants et des survivants de Dantooine, ainsi que de quelques Jedi ayant eu affaire aux Yuuzhan Vong. Pour sa part, elle aurait préféré que tout ça reste secret, mais ne pas informer les gens était impossible. Des fuites étant inévitables, si le gouvernement niait tout, la confiance du public diminuerait encore.

Informé, le peuple pouvait émettre des opinions sur des sujets comme la participation des Jedi. Et les politiciens comme Fey’lya, soucieux de leur intérêt, respecteraient les directives de l’opinion publique.

— Notre refus d’impliquer les Jedi nous prive d’une ressource de grande valeur, dit Leia. Ils sont habitués aux crises et savent les résoudre de façon discrète et efficace. Ce seraient des agents parfaits pour des missions sur des mondes comme Garqi ou Dubrillion. De plus, je doute que nous puissions empêcher Luke et les siens de voler à la rescousse des peuples menacés. Vous le savez.

— Oui, Leia, admit Fey’lya. Mais approuver leurs actes est hors de question. Ils devront agir sans notre soutien.

— Si nous recevons un appel de détresse d’un Jedi venant d’un monde occupé, nous serons pieds et poings liés ? demanda Wedge.

— Sauf s’il y a une raison stratégique vitale pour intervenir, général.

Traest regarda Wedge.

— Ça signifie que nous devrons mettre sur pied nos propres opérations, en utilisant notre personnel.

— Nous n’avons pas le choix.

Leia soupira.

— Si faire appel aux Jedi n’est pas envisageable, j’imagine que ma mission sur Bastion est annulée aussi ?

Le sourire de Fey’lya s’élargit.

— Pas du tout ! Si vous souhaitez convaincre Pellaeon d’investir sa puissance de feu et ses effectifs contre les Yuuzhan Vong, j’en serai ravi. Je vous souhaite bonne chance, Leia. En toute sincérité.

Leia et Elegos échangèrent un coup d’œil. Quand ils avaient parlé d’en appeler aux Vestiges de l’Empire, ils avaient envisagé plusieurs scénarios… avant d’arriver à la même conclusion : quoi qu’il advienne, l’avantage politique reviendrait à Fey’lya. Si Leia parvenait à convaincre les Vestiges d’épauler la Nouvelle République, l’accuser de collaborer avec les réactionnaires serait facile. Fey’lya, lui, se positionnerait comme l’ardent défenseur des traditions de la Rébellion.

En cas de refus des Vestiges, Leia serait critiquée pour avoir eu la naïveté de traiter avec d’anciens ennemis.

— Je suis très heureuse que vous approuviez, Borsk. Le sénateur A’Kla et moi partirons dans deux jours pour Bastion.

— Le sénateur A’Kla ? répéta Fey’lya. J’ai peur qu’il ne puisse pas venir avec vous. Il a des affaires à régler sur Coruscant.

— Si vous pensez que…

Elegos leva une main.

— Il a raison, Leia. Je ne viendrai pas avec vous. Mais je ne resterai pas à Coruscant pour autant, Borsk.

— Où serez-vous ? demanda Leia, surprise.

— J’ai écouté les débats, et à mon avis, vous êtes sur la bonne voie. Vous avez considéré tous les angles, excepté un : l’objectif des Yuuzhan Vong. J’ai l’intention d’aller à Dubrillion le leur demander.

— Impossible ! cria Leia. Nous y étions et nous avons essayé de communiquer avec les Yuuzhan Vong. En vain.

Traest prit la parole :

— Il n’existe aucune preuve qu’ils comprennent la notion de trêve. Ils ne traitent pas dignement leurs prisonniers. Vous vous mettrez en danger de mort.

— Et vos soldats et vous ?

— C’est notre devoir, sénateur.

— N’est-ce pas aussi le mien ? Un sénateur est responsable de millions de gens. Je ne veux pas qu’ils soient tués ou réduits en esclavage. Tout faire pour arrêter cette guerre est de ma responsabilité. Vous savez que mon peuple est pacifiste, pourtant je me suis battu avec vous à Dantooine. Ce n’était pas la première fois. Mais je n’ai pas envie de continuer. Donc, j’irai à Dubrillion.

Leia le regarda, la gorge nouée. Un frisson courut le long de son échine, et elle aurait voulu attribuer à la fatigue. Mais elle savait pertinemment que la Force donnait parfois des visions prémonitoires…

Elle espéra que la mission d’Elegos n’était pas vouée à l’échec.

— Elegos, emmenez au moins quelques Noghri pour vous protéger.

— C’est une très gentille suggestion, Leia, mais les Noghri seront plus utiles ailleurs. Je dois accomplir cette mission. Si je réussis, nous serons tous sauvés.

— Etes-vous naïf au point de croire que vous avez une chance de succès ? demanda Borsk.

Le Caamasi soutint le regard du Bothan.

— Les chances sont minces, je vous l’accorde. Voire nulles. Mais peut-on affirmer que le jeu n’en vaut pas la chandelle ?

Leia frissonna encore.

— Et si vous échouez ?